Interview Louis Bourgois

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Ce mois-ci “lumière sur” Louis Bourgois. Membre du conseil d’administration d’ACINA depuis 2020, Louis Bourgois est chercheur en Science Politique rattaché au laboratoire de Sciences Sociales PACTE à Grenoble et à l’équipe de l’ODENORE – l’Observatoire des non-recours aux droits et services. Il s’intéresse notamment aux questions d’accès et de non-recours aux droits et à la participation des premier.e.s concerné.e.s.

 

Il  coordonne également le Collectif Soif de Connaissances, qui vise à rapprocher la recherche, le travail de terrain et la formation en travail social, en impliquant directement les premier.e.s concerné.e.s afin de concevoir des formations collaboratives et participatives à destination des travailleurs sociaux. Comme l’illustre le module de formation intitulé “Le travail social à l’épreuve des bidonvilles” co-construit entre anciens habitant.e.s de bidonville, professionnel.le.s, chercheur.euse.s, formateur.ice.s et étudiant.e.s, qui ont mis en commun et “confronté leurs savoirs et expériences autour de l’accompagnement social des personnes migrantes européennes vivant en squat et bidonvilles en France.”

Ce qui m’intéresse est de voir comment il peut y avoir une alliance entre travail de recherche et travail de terrain pour faire avancer les politiques publiques et l’action associative. C’est l’idée d’une recherche embarquée et utile socialement.” ajoute Louis Bourgois.

Auteur d’une thèse qui s’intitule “Résorber à bas bruit : ethnographie de l’action publique lyonnaise de résorption des squats et bidonvilles de migrants roumains précaires”, Louis Bourgois en tire deux grands constats et analyses, exposés ici de manière très synthétique. “Contrairement à une première impression qui pourrait être que les politiques publiques sont faites de bricolages au niveau local et qu’il n’y a pas de réelle action publique structurée, ce n’est pas le cas, en tout cas pas partout. Sur le territoire que j’ai étudié par exemple, Il y a un objectif commun, des routines, des manières de faire entre les différents acteurs associatifs, Etat, collectivités et une action publique structurée faite de projets, dispositifs, visant soit à l’expulsion et l’éloignement des personnes, soit à leur insertion économique et sociale La seconde chose concerne le fait que cette action publique se fait “à bas bruit”, de manière discrète, pour différentes raisons, politiques, stratégiques, et tout un tas de mécanismes qui finissent par invisibiliser le problème social lui-même et la politique publique mise en œuvre. Ce “bas bruit” passe notamment par : l’utilisation massive du bénévolat qui invisibilise le coût de l’action publique, par l’invisibilisation de la parole des premier.e.s concerné.e.s et par tout un tas de mécanismes dérogatoires au droit et non par les filières de droit commun.” explique Louis Bourgois.

Ce bas bruit et ces dispositifs spécifiques, s’illustrent entre autres à travers la manière dont se déploie le Logement d’abord, et les possibilités d’accès des familles migrantes européennes.  Dans certaines agglomérations, on assiste à “une approche qui demeure complètement segmentée sur les territoires, qui passe par le développement, pour certains publics ciblés, de “marches” spécifiques avant l’accès au logement.” précise Louis Bourgois. 

Porté par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement (DIHAL), “Le plan quinquennal pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018-2022) propose une réforme structurelle de l’accès au logement pour les personnes sans-domicile” et fait suite à différents constats : persistance du sans-abrisme; nombre toujours croissant de personnes mal-logées; saturation des dispositifs d’hébergement; coût des réponses construites selon une logique d’urgence. Le plan quinquennal pour le Logement d’Abord repose sur 5 axes d’actions : produire/mobiliser plus de logement sociaux et/ou très sociaux; promouvoir et accélérer l’accès au logement; mieux accompagner les personnes sans-domicile et favoriser leur maintien dans le logement; prévenir les ruptures dans parcours résidentiels et recentrer l’hébergement sur ses missions de réponse immédiate et inconditionnelle; et enfin, mobiliser les acteurs et les territoires pour mettre en œuvre le principe du Logement d’abord.

Malgré les objectifs visés, les bidonvilles restent parfois un point aveugle dans la pratique et les publics qui y vivent “ni sans-abris ni en logement” sont orientés vers de nombreux “sas” (hébergement, villages d’insertion, …..) avant d’y accéder, ballotés au gré des expulsions, sans proposition de relogement ou inscrit dans des parcours résidentiels longs en hébergement d’urgence.

Dans son article, “Urgence sociale et catégorisation des publics : les “roms migrants” sont-ils des “sans-abri” comme les autres ?”, Louis Bourgois met en lumière le ciblage spécifique et la “zone grise” que représente les bidonvilles, entre l’habitat et la rue, ayant un effet de cloisonnement des notions, “alors même qu’objectivement dans beaucoup de territoires on est sur une définition du sans-abrisme, avec des parcours résidentiels qui sont des parcours de sans-abrisme. Les personnes sont en contact avec les acteurs AHI (accueil, hébergement, insertion), vivent dans un quotidien de débrouille, de survie économique, avec dans le même temps un espèce de refus de l’aborder sous cet angle là.” Ce qu’illustre Louis Bourgois dans cet article : “d’’un côté, la plupart des services sociaux de secteur refusent de considérer ces espaces comme des lieux de vie dans lesquels ils peuvent intervenir au même titre qu’un logement classique […]. De l’autre côté, de nombreux acteurs de “l’urgence sociale”, peuvent avoir tendance à ne pas considérer les habitants des bidonvilles comme leur “public cible”, car usant de stratégies et de moyens de survie en partie différents des “sans domicile fixe”” (Gardella et Chopin, 2013, p. 287).” 

La question reste en suspend, quelle place pour les personnes vivant en bidonville dans les politiques locales de lutte contre le sans-abrisme, et dans le plan pour le Logement d’abord ? Sollicité et auditionné par la DIHAL dans le cadre de la rédaction de la Stratégie française 2020-2030 en réponse à la recommandation du Conseil de l’Union européenne du 12 mars 2021 pour « l’égalité, l’inclusion et la participation des Roms » , Louis Bourgois évoque des pistes de travail pour une stratégie renouvelée. Il y mentionne plusieurs enjeux, dont notamment celui de renforcer l’intégration de la politique de résorption des bidonvilles au sein des dynamiques territoriales et des politiques de lutte contre la pauvreté et d’accès au logement, aujourd’hui encore trop cloisonnées. 

Plus largement, malgré les ambitions du plan Logement d’abord, selon le rapport 2021 sur l’état du mal-logement en France réalisé par la Fondation Abbé Pierre, 4,1 millions de personnes sont non ou mal-logées, un chiffre alarmant qui met en lumière l’inexistence d’un droit au logement effectif, bien que fondamental.