Apprendre le français – Entre intégration et exclusion

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“Au début c’était très très dur. Je ne connaissais personne,  je n’avais nulle part où aller, je ne connaissais pas la langue. J’étais terriblement déprimée. […] 

Apprendre le français c’était vraiment pour moi très important. Sans parler la langue, je ne peux rien faire – je ne peux pas travailler, je ne peux pas comprendre tout ce qu’on me demande à la préfecture…  

Je parle déjà 3 langues et ça fait 10 mois que j’apprends le français. Je comprends bien mais c’est encore difficile pour moi de m’exprimer. J’apprends des nouveaux mots tous les jours, et je vais à des cours plusieurs fois par semaine.” 

Saron* que Hélène (travailleuse sociale chez Acina à Paris) accompagne à un cours de français à la Maison de la Poésie

Comme Saron, la majorité du public d’Acinapersonnes roms de citoyenneté européenne, personnes ukrainiennes Bénéficiaires de la Protection Internationale (BPI), réfugiés de nationalités diverses – ne parlent pas ou peu français à leur arrivée en France.

En général, près d’une personne exilée sur trois n’a aucune connaissance du français au moment d’arriver en France. (*source : Insee 2023)

Les conséquences :

  • Un accès aux droits plus compliqué, tant la maîtrise du français est nécessaire pour comprendre et réaliser les démarches
  • De grandes difficultés pour accéder à l’emploi, ce qui accroît la précarité et maintient à la rue
  • Un sentiment d’exclusion et d’isolement, qui impacte la santé mentale et le bien-être
Cependant, tout le monde est loin d’être à égalité devant l’apprentissage des langues.

Anaïs, travailleuse sociale en Essonne nous donne 3 exemples :

  • L’habitat précaire et la pauvreté imposent une logique de survie qui prend la priorité au quotidien.
  • Les personnes analphabètes, ou qui ont arrêté l’école très tôt, doivent fournir plus d’efforts et ne pensent pas toujours que les cours leur sont accessibles.
  • Pour certaines femmes, la non maîtrise du français empêche l’émancipation. Le travail domestique et la garde d’enfants rendent plus difficile l’assiduité aux cours de langue.
Chez Acina, parler français ne sera jamais une condition pour être accompagné.e.

Silantou, travailleuse sociale chez Acina dans le 91 explique à ce sujet :

“C’est une contrainte et l’échange serait forcément meilleur sans cela, mais ce n’est pas quelque chose qui bloque l’accompagnement. Je n’ai jamais eu de situation où l’on ne pouvait absolument pas se comprendre et où faire mon travail était impossible.”  

Dans l’optique d’accompagner chaque personne individuellement pour que chacun.e puisse s’exprimer librement et sans être forcé de partager certaines choses avec un tiers, faire intervenir les connaissances ou enfants des personnes accompagnées qui parlent français pour servir d’interprète n’est pas privilégié.

L’utilisation de traducteurs en ligne est un outil souvent suffisant, et lorsque cela ne suffit pas toute l’équipe d’Acina peut compter sur certaines collègues bilingues.  

En cas de souci je sais que je peux compter sur Estera [collègue roumanophone de Silantou sur le 91]. Je pense à un terrain [un bidonville] sur lequel pendant longtemps les personnes ne voyaient pas d’intérêt dans notre accompagnement, et on n’arrivait pas à organiser beaucoup d’actions. Mais depuis l’arrivée d’Estera, les gens expriment davantage ce dont ils ont besoin et se sentent sûrement plus en confiance. En tout cas, plusieurs personnes participent maintenant à certains ateliers. Je pense qu’avoir une personne avec qui échanger directement ça joue au début dans la création d’un lien de confiance, même si après ça ne détermine pas la suite de l’accompagnement qui peut être réalisé par toutes les travailleuses sociales.” 

Silantou conclue sur le fait que dans tous les cas apporter un accompagnement que les personnes parlent ou non français doit aller de soi, bien que ça ne soit pas toujours le cas dans d’autres structures. Elle rappelle l’exemple d’une situation particulièrement discriminatoire : 

“Suite à la fermeture de l’antenne d’Acina dans le Val-de-Marne, nous avons orienté toutes les familles accompagnées vers d’autres assistant.es social.es. Dans une structure supposément ouverte à tous les publics, nous avons été particulièrement mal reçues, et je pense que c’est en parti lier au fait que les personnes ne parlaient pas français, en plus du fait qu’elles étaient roms. On nous a sorti mille et un prétexte, qu’ils auraient trop de mal si la personne ne parlait pas français, qu’ils n’étaient pas spécialisés… […] Comment après ça aller encore demander de l’aide ?” 
Selon son objectif de développer des liens forts avec d’autres acteurs locaux, Acina sert de passerelle vers différentes structures proposant des cours de français. 

Par exemple, Acina tavaille depuis 2022 avec l’École Monique Apple organisant des cours de français pour des femmes primo-arrivantes en France. Un travail collectif se met en place dans lequel chaque association peut orienter des femmes vers sa partenaire, et proposer ainsi un soutien à la fois dans l’apprentissage de la langue et dans l’accès aux droits et à l’emploi. 

Dans le cadre d’un projet interassociatif à destination de femmes ayant été contraintes à la prostitution, Acina apporte ses compétences dans le domaine socioprofessionnel, le Mouvement du Nid son accompagnement de victimes de proxénétisme, et l’association Kolone propose des cours de français.  

Les personnes étrangères et précaires bénéficieraient à ce que soient développées toujours plus de formations adaptées aux difficultés de chacun.e, et à ce que soient rendues plus accessible les procédures administratives aux personnes en cours d’apprentissage.  

C’est pourtant tout l’inverse de la tendance actuelle.

Le 22 octobre dernier, le secrétaire d’État chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations, a annoncé vouloir conditionner l’obtention des titres de séjour à une plus grande maîtrise du français.

Or, de récentes coupes budgétaires risquent de faire fermer une partie des cours de français langue étrangère.

Pouvoir apprendre le français est un droit, qu’il faut défendre pour mieux vivre ensemble.