Habitat précaire : quelle réponse de la politique de la ville?

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ACINA a participé à un temps d’échange proposé par Profession Banlieue, centre de ressources de la politique de la ville en Seine-Saint-Denis en décembre 2018, qui fait aujourd’hui l’objet d’une publication “Habitat précaire et bidonvilles – Un point aveugle de la politique de la ville ?”. Quelles réponses peuvent apporter les politiques de la ville à la question de l’habitat précaire ? Retour sur cette rencontre organisée par Profession Banlieue en partenariat avec Romeurope à laquelle ACINA a été invitée, consacrée à la place des personnes vivant en habitat précaire sur le territoire, les politiques et stratégies d’inclusion, les phénomènes d’exclusion, etc.

Le CNDH Romeurope a ainsi pu fixer lors de cette matinée le cadre réglementaire et les acteurs en présence dans les politiques de résorption des bidonvilles, tandis qu’ACINA a partagé des éléments sur la situation en Île-de-France et en particulier en Seine-Saint-Denis tirés de son expérience de terrain.

Habitat précaire et droit commun

En réponse à la résurgence des bidonvilles observée dans les années 2000, plusieurs circulaires interministérielles se succèdent. Celles-ci ont pour but de préciser le cadre d’action de l’Etat et le rôle des acteurs locaux chargés de leur mise en œuvre. Dès lors, elles inscrivent la question du traitement des bidonvilles dans le droit commun et non comme objet de la politique de la ville. Celle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites, introduit pour la première fois les notions de diagnostic social et d’accompagnement et précise que des solutions d’hébergement et de relogement doivent être proposées aux familles. L’action publique s’enclenche alors du fait de l’expulsion. En 2013, le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) note que « l’insuffisance d’anticipation et de proposition de solutions en amont des démantèlements [a mis] en échec le travail d’accompagnement et d’insertion qui a pu être engagé […]¹ ». 

Avec l’instruction du 25 janvier 2018 impulsée par la DIHAL, le gouvernement a permis de renforcer cette inscription dans le droit commun en fixant un cadre à la résorption des bidonvilles, en préconisant le déclenchement de l’action publique en amont de l’évacuation du bidonville et la mise en place de stratégie territoriale. Bien que non-contraignantes sur le plan juridique, et dépendantes de l’engagement des acteurs publics locaux dans leur mise en œuvre opérationnelle, ces circulaires montrent une volonté dans la prise en compte des questions d’habitat précaire. Au niveau national, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté prend de plus en plus en compte l’habitat précaire. Au niveau local, différentes initiatives visent une résorption des bidonvilles et de l’habitat dit informel, tandis que le secteur associatif se mobilise et tente de trouver de nouvelles solutions. On peut néanmoins déplorer des moyens financiers insuffisants, bien qu’en augmentation, au regard des enjeux humains, pour soutenir ces actions.

 

 

Bidonvilles et quartiers politique de la ville

En 2017, les auteurs² de l’article « Bidonville, un point aveugle de la politique de la ville ?« , publié dans la revue Urbanisme d’automne 2017, montraient que les zones d’implantation des bidonvilles étaient parfois situées au sein, et le plus souvent, en périphérie des quartiers politique de la ville (QPV). Les habitants cherchent en effet à rester proches des transports et centres urbains. “Un déplacement de ces populations vers la grande couronne et des regroupements de plus en plus petits et discrets” est néanmoins observé, comme le souligne Profession Banlieue, en raison notamment des expulsions à répétition.

Cet éparpillement et ces localisations à l’extérieur (quoique limitrophes) des quartiers prioritaires font des personnes vivant en habitat précaire un point aveugle de la politique de la ville. Pourtant, les personnes vivant en bidonville répondent à de nombreux critères qui fondent l’intervention des acteurs de la politique de la ville (précarité, accès difficile au droit ou à la santé, insalubrité de l’habitat…). Elles sont par ailleurs fortement attachées à une zone d’ancrage établie. ACINA constate ainsi que les personnes rencontrées par l’association reviennent bien souvent sur le même territoire au fil des évacuations. A son niveau, ACINA observe néanmoins que la réponse publique accepte désormais de prendre en compte ce public, notamment via le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) dont bénéficie ACINA pour le suivi des jeunes “invisibles”  NEET  (jeunes sans formation, ni diplôme, ni travail) dont font partie les 16-29 ans vivant en bidonville, et pas uniquement en zones QPV.

 

Bidonvilles : complexité des parcours, des acteurs, de la gestion du temps

La question de la résorption des bidonvilles est complexe à plusieurs égards. D’une part, Romeurope rappelle qu’il existe souvent des amalgames s’agissant des publics qui y vivent, notamment sur la manière de les nommer. Ce pouvoir de nommer l’autre tend à produire des confusions et à homogénéiser un groupe de personnes loin de l’être. L’image essentialiste associant l’existence des bidonvilles à la communauté Rom se trouvant loin de la réalité recouverte par ces formes d’habitats précaires. L’identification des populations y habitant tend à conditionner en partie la réponse qui y est apportée.

La réponse apportée est là aussi complexe tant les acteurs et échelons impliqués sont nombreux. Politiques nationales, régionales, locales, et initiatives associatives doivent se coordonner pour mener des actions de terrain efficaces. De plus, ces actions s’inscrivent dans un enjeu temporel contradictoire. Il faut gérer tout à la fois l’urgence, les expulsions répétées, l’errance forcée d’une part et l’accompagnement socioprofessionnel de long-terme nécessitant un ancrage local et une stabilisation des situations d’autre part. La sensibilisation des décideurs publics à l’inefficacité de cette logique est un enjeu majeur. Enfin, le terme “campements illicites” pour parler de ces bidonvilles induit souvent une approche majoritaire des autorités sous l’angle de l’ordre public.

Les interventions d’ACINA tentent ainsi de surmonter ces difficultés afin de permettre une inclusion durable de ces publics : scolarisation des enfants, connaissance des structures d’aides sur le territoire, suivi social inscrit localement, etc. Ces actions doivent être débutées avant l’expulsion et se poursuivre bien après.


¹Le Défenseur des droits, « Bilan d’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuations des campements illicites. Août 2012-mai 2013 »

²nSamuel Delépine, géographe, Clotilde Bonnemason et Manon Fillonneau de CNDH Romeurope