Maria et Ana : l’interview du mois

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Ce mois-ci, nous vous présentons l’histoire de Maria et de sa fille Ana arrivées en France en 2017 et accompagnées par ACINA depuis début 2019. Elles vivent aujourd’hui dans un Centre d’Hébergement d’Urgence pour mères isolées en Ile-de-France, où elles nous ont reçues. En nous racontant leur parcours et l’engagement actuel d’Ana, elles mettent en lumière les difficultés auxquelles les nouveaux arrivants se trouvent régulièrement confrontés : vie en bidonville, difficultés d’accès à l’emploi, à l’école…

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

« Je m’appelle Maria, j’ai 50 ans et je travaille actuellement dans un chantier d’insertion chez Etudes et Chantier. Et je m’appelle Ana Maria, je suis Rom Roumaine, j’ai 19 ans et je suis en terminale ST2S (NDLR : Sciences et Technologies de la Santé et du Social) dans un lycée à Palaiseau. »

Maria et ses deux enfants sont arrivés en France en juillet 2017. Ana, qui parle parfaitement français est revenue sur leur situation avant de rencontrer ACINA. 

« Lorsque nous sommes arrivés en France nous nous sommes installés dans un bidonville à Igny (NDLR : dans le département de l’Essonne 91), mon grand frère était là depuis quelques années déjà. Avant de rencontrer ACINA, nous étions suivis par ADOMA. Il y a ensuite eu une passation et c’est comme ça qu’on a commencé le travail avec ACINA. Certaines démarches sociales avaient été faites, j’étais inscrite au lycée, mais nous vivions toujours en bidonville et ma mère n’avait pas de travail, il me semble qu’il n’y avait pas de domiciliation parce qu’elle était expirée. En Roumanie, ma mère a travaillé dans la couture, l’agriculture, dans un abattoir et dans une fabrique de cuir. Elle est aussi allée seule en Allemagne pour travailler pendant un temps, mais ce n’était pas un emploi stable, alors elle est revenue. Mais en Roumanie, c’était compliqué de trouver du travail et nous risquions de perdre notre maison, nous avons donc décidé de venir rejoindre mon frère en France. Nous ne parlions pas du tout français lorsque nous sommes arrivés. »

Maria et ses deux enfants sont accompagnés par l’équipe de l’antenne 94/92 d’ACINA depuis début 2019.

« Au début de l’accompagnement avec ACINA, c’était un peu compliqué. Nous étions sur un bidonville à Antony où l’association n’avait pas d’antenne, les rendez-vous se faisaient directement sur le bidonville. Il n’y avait pas d’endroits précis mais le suivi était régulier ». Fatima Fikri, conseillère en insertion professionnelle, ajoute qu’à ce moment-là, l’équipe de l’antenne 94/92 d’ACINA se rendait tous les lundis sur le bidonville d’Antony afin de mener des entretiens avec les familles accompagnées. Par la suite, plusieurs solutions ont été cherchées, jusqu’à l’obtention d’un prêt de salle à proximité. 

« De base, ma mère voulait travailler dans la couture car elle avait déjà eu de l’expérience dans ce domaine et s’y était formée en Roumanie, mais la langue a été un problème, c’est pour ça qu’elle a voulu s’inscrire à la POEC pour apprendre le français. » 

La Préparation Opérationnelle à l’Emploi Collective est un dispositif rémunéré qui allie des cours de français à visée professionnelle, des ateliers collectifs et un stage en entreprise en lien avec le projet professionnel.

Ana nous explique par la suite les difficultés que la famille a pu rencontrer dans son parcours.

« La première difficulté a été celle de la domiciliation, nous n’étions pas encore accompagnés par ACINA à ce moment-là. L’accès à l’école a aussi été une difficulté. En fait, tout prend beaucoup de temps, toutes les démarches, il faut être patient, il faut persister. Mais je pense que la plus grande frustration a été la difficulté de trouver une POEC pour ma mère. Elle voulait vraiment faire des cours de français, mais à chaque fois, son niveau était insuffisant pour les intégrer, même avant ACINA elle avait essayé (NDLR : l’équipe de l’antenne 94/92 d’ACINA, a positionné Maria sur toutes les POEC. Maria est allée à toutes les informations collectives, elle a passé tous les tests, essuyant des refus à cause de son niveau de français). Grâce à un désistement à la POEC de l’Astrolabe, ma mère a pu l’intégrer en 2019. »

Depuis juillet 2020, Maria travaille dans un chantier d’insertion d’Etudes et Chantier, dans le secteur des espaces verts.

« Je devais commencer en mars, mais à cause du confinement, le début a été décalé. Le travail se passe très bien, mon employeur est très gentil et mes collègues aussi, certains sont roumains et m’aident à m’exprimer quand j’ai des difficultés. » explique Maria. 

Depuis la fin du mois d’août 2020, Maria, Ana et son frère vivent dans un Centre d’Hébergement d’Urgence pour mères isolées en Ile-de-France et « tout se passe bien » affirme Ana, qui, de son côté, est en terminale au lycée à Palaiseau. 

« Ça se passe bien, j’ai quelques difficultés parfois dans certaines matières mais ça va ! C’est un peu stressant aussi cette année avec le bac. »

En parallèle de ses cours au lycée, Ana s’engage activement dans différents projets.

« Je participe au projet européen PECAO sur l’antitsiganisme. L’objectif est de rechercher sur les réseaux sociaux des posts racistes sur les personnes Roms, Tsiganes, de les signaler directement sur les plateformes ou de faire des fiches descriptives du post trouvé et de les faire remonter sur le site PHAROS (NDLR : Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements) mis en place par le ministère de l’intérieur. Nous organisons aussi des ateliers de sensibilisation à la question de l’antitsiganisme dans des associations et bientôt dans des établissements scolaires. 

Je suis aussi co-fondatrice et membre active du Collectif Ecole Pour Tous. En 2018 quand je venais de déménager sur le bidonville où j’étais avant d’être ici, une bénévole est venue, elle a vu que je parlais bien français, que j’allais à l’école, que j’avais des projets professionnels. Ensuite, elle a vu l’appel d’Anina Ciuciu qui voulait réunir des jeunes ayant eu des difficultés dans leur scolarité. Je suis donc allée à un week-end de rencontre avec vingt autres jeunes de toutes nationalités confondues. En discutant, nous nous sommes rendu compte que même si nous venions d’endroits différents nous avions fait face aux mêmes difficultés. Nous avons donc décidé de créer le Collectif Ecole Pour Tous. Depuis, je participe à toutes les actions dès que je le peux. Je suis porte-parole du Collectif, je parle beaucoup en public et je fais beaucoup d’actions médiatiques. Je suis aussi formée en plaidoyer institutionnel. Tous les 2 mois nous organisons des rencontres nationales à Paris, où on discute, on voit où on en est, on décide de la manière dont on s’organise en fonction de qui est disponible et de ce que les gens aiment faire. Au début nous étions 20 membres, aujourd’hui plus de 100, c’est comme une grande famille. »

En parlant de son engagement au sein du Collectif Ecole Pour Tous, Ana met en lumière les nombreuses difficultés que peuvent rencontrer certains enfants dans leur accès à l’école.

« Pour aller à l’école, avant il fallait une domiciliation, ce qui, pour les habitants des bidonvilles, des aires d’accueil, etc n’est pas évident. Avec le Collectif nous avons réussi à faire passer un amendement au projet de loi Ecole de la Confiance (NDLR : article 16 concernant les pièces justificatives pour l’inscription à l’école de la LOI n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance) et un décret du ministre en 2020 qui dit que désormais, s’il n’est pas possible de fournir une attestation de domicile, une attestation sur l’honneur doit suffire pour inscrire un enfant à l’école. Dans les faits, certains maires refusent encore les inscriptions, ce qui nous amènent à faire des actions en justice et à médiatiser les cas pour que cela n’arrive plus. Une autre difficulté est celle concernant l’assiduité. Comme il y a toujours des expulsions, c’est compliqué. Une expulsion, c’est 6 mois de déscolarisation ».

Les expulsions créent des ruptures dans les parcours scolaires des enfants qui sont amenés à changer de lieu de vie, parfois situés à plusieurs kilomètres de leur école, engendrant de fait, des déscolarisations et l’obligation de repartir à zéro.

« Avec le Collectif, nous demandons une trêve scolaire, c’est-à-dire, empêcher la possibilité d’expulser des familles pendant la période scolaire. Le racisme est aussi une grande difficulté à laquelle de nombreux enfants doivent faire face. Afin de sensibiliser sur le sujet, nous avons fait des ateliers contre le racisme et le harcèlement raciste à l’école et avons formé nos collègues toulousains. Je pense que l’impact est d’autant plus fort lorsque ce sont les premiers concernés qui en parlent. Mon frère a beaucoup été victime de racisme au collège, ce qui a engendré des périodes de déscolarisation. Aujourd’hui, il fait un CAP et ça se passe bien. De mon côté, ça a été, peut-être parce que je suis arrivée au lycée et que les gens sont plus grands, les enfants peuvent être plus méchants entre eux, moins se rendre compte du mal qu’ils peuvent faire. »

Pour l’avenir, Ana et Maria ont plusieurs projets.

« J’aimerai faire des études de sciences politiques à l’université et travailler dans le social où pour la protection des politiques sociales. Au niveau de la famille, nous aimerions un logement plus stable, ici c’est très bien mais ce n’est pas définitif. Pour ma mère, qui est en CDD-insertion de 1 an avec prolongation possible, ce serait de trouver un CDI ! » nous explique Ana qui souhaite rester en France, faire ses études et travailler ici et qui nous confie avoir « l’impression de toujours avoir été là. Même si nous avons rencontré beaucoup de difficultés, que nous habitions dans un bidonville en arrivant, nous avons décidé de rester en France car il y a quand même un accueil. Nous sommes partis de rien pour arriver à quelque chose, c’est dur mais c’est possible. »

Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?

« Je pense que c’est l’occasion de remercier ACINA, l’association nous a beaucoup aidés, c’est grâce à leur travail que l’on a réussi à avoir un hébergement, que ma mère a trouvé un travail. Même avec de la persévérance, de la volonté et des objectifs, tu as besoin de quelqu’un qui connaît les moyens d’y parvenir. »